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L’Avortement au Brésil

juillet 12, 2011

En 2005, une enquête menée conjointement par les Universités de Rio et de Brasilia révélait qu’au cours de cette seule année, plus d’1,54 millions de femmes brésiliennes avaient pratiqué une interruption volontaire de grossesse. Des chiffres bien évidemment spéculatifs puisqu’au Brésil, la quasi-totalité des des avortements sont clandestins, d’où le grand nombre de décès constatés (150 en moyenne chaque année), lié à cette pratique.

Si en France l’IVG est autorisé depuis la loi Veil de 1975, au Brésil avorter constitue un crime passible de prison (de 1 à 10 ans) sauf dans trois cas précisés par l’article 128 du Code Civil : 1/ S’il n’y a pas d’autre moyen de sauver la vie de la mère, 2/Si la grossesse est la conséquence d’une infraction à la liberté sexuelle de la femme (viol, reproduction assistée non consentie), 3/ Si le corps médical juge élevée la probabilité que le  fœtus présente des anomalies physiques ou mentales graves et irréversibles.

Cette legislation particulièrement proibitive est doublement ancrée dans la société brésilienne. D’un point de vue constitutionnel d’abord, puisque l’Article 5 de la Constitution Fédérale de 1988 garantit « l’inviolabilité du droit à la vie ». Mais d’un point de vue moral et religieux surtout dans ce qui est à la fois le premier pays catholique au monde et l’un des principaux fiefs de l’évangélisme conservateur. Deux courants religieux qui représentent environ 85% de la population nationale et qui forment le coeur du mouvement pró-vida (pour la vie). Rien d’étonnant, alors, à ce qu’en 2010 une enquête de l’institut Vox Populi révèle que 82% des Brésiliens ne souhaitent pas de modification de la loi.

Pourtant les débats sur la question sont particulièrement nourris au Brésil. Si le mouvement pró-vida semble quasi-hégémonique, son pendant, celui des pro-escolha (« pro-choice » en anglais) n’est pas en reste et tente régulièrement de faire évoluer la legislation, faute de parvenir à faire évoluer l’opinion. Ce fut notamment le cas en 2004, lorsque Marco Aurélio Mello, l’un des douze juge du Tribunal Fédéral Suprême, parvint à élargir l’autorisation d’avorter au cas d’anencéphalie du fœtus (malformation du système nerveux qui a pour conséquence la surdité, cécité et l’inconscience des nouveaux-nés). Ou encore en 2008, lorsque le projet de loi 1135/91 prévoyant la suppression des articles du code civil condamnant l’avortement consenti par la femme enceinte, revint à l’ordre du jour des débats parlementaires. Mais dans ces deux cas, les espoirs des pro-choix furent rapidement douchés. La décision du juge Mello fut en effet révoquée quelque semaines plus tard et le projet de loi 1135/91 fut lui, rejeté à l’unanimité des députés membres de la commission en charge (33 votes contre, 0 pour) ! De fait, en mai 2010, un durcissement de la loi a même été approuvé par la Commission Sécurité Sociale et Famille de la Chambre des Députés, sous le nom d’Estatuto do Nascituro (Statut du Fœtus).

Fort de ses victoires, le mouvement pro-vie s’illustra de nouveau lors de la campagne présidentielle de 2010, au cours de laquelle la question de l’avortement émergea de façon aussi spontanée qu’inattendue, à quelque jours du scrutin. Alors qu’elle apparaissait dans les sondages comme la grande favorite, la candidate du PT et héritière du président sortant, Dilma Rousseff vécut très certainement, à quelques jours du premier tour, la plus grosse frayeur de sa campagne lorsqu’elle reçut une série d’attaque émanant des secteurs conservateurs et notamment du mouvement pro-vie, sur la question même de l’avortement. Une avalanche d’articles, de blogs et de vidéos défilèrent sur le net rappelant que Dilma Rousseff, alors Ministre de la Casa Civil (équivalent de notre Premier Ministre), s’était déclarée à plusieurs reprises en faveur de la légalisation de l’avortement (notamment dans un entretien de 2007 au magazine Marie Claire). La levée de boucliers provoquée fut telle que Dilma n’eut d’autre choix que de promettre publiquement, devant une assemblée de dirigeants religieux, qu’une fois à la tête de l’Etat, elle ne légifèrerait ni sur l’avortement, ni sur le mariage homosexuel. Une lettre officielle fut même publiée et diffusée très largement pour tenter de contrer cette terrible offensive des pró-vidadont on voit bien à travers cet exemple, le pouvoir d’influence.

En renonçant ainsi à traiter la délicate et si symbolique question de l’avortement, Dilma Rousseff s’assura le soutien décisif de nombreux secteurs religieux jusque là hésitants, et par conséquent la victoire au second tour de la présidentielle. En revanche, elle a certainement déçu tout ceux qui voyaient dans l’avènement au pouvoir suprême de la première femme brésilienne, un espoir de renouveau.