478.369. C’est le nombre d’homicides perpétrés entre 1999 et 2008 au Brésil, soit une moyenne annuelle de près de 48.000 meurtres. L’équivalent de tous les habitants de la ville de Vincennes assassinés chaque année. Un chiffre particulièrement alarmant qui avait pourtant eut tendance à chuter ces dernières années. Il repart tristement à la hausse depuis 2006 et l’extrême violence reste un problème structurel au Brésil. Une véritable épidémie qui aurait coûté en 2004, d’après une étude de l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA), environ 5,08% du PIB national soit 92,2 milliards de réals (40 milliards d’euros) au pays. L’équivalent de 6 programmes « Bolsa Familia » (voir notre billet sur la pauvreté) ! L’assassinat, le 12 août dernier à Rio, de la juge Patrícia Acioli, mère de deux enfants et réputée particulièrement intransigeante envers le crime organisé, est la dernière tragédie en date d’un Brésil dépassé par l’ampleur de cette violence qui le meurtrit chaque jour un peu plus.
Violence à Rio de Janeiro – « Gilet pare-balles »
Une violence multiforme et généralisée
Une violence qui, comme ailleurs, revêt les formes les plus diverses mais avec ici une fréquence et une intensité inouïe. La violence urbaine des gangs qui sévissent dans les favelas des grandes métropoles, largement liée au trafic de drogue, en est la forme la plus visible et la plus médiatisée. La consommation de crack (dérivé de cocaïne très bon marché qui a envahi le pays) a en effet explosé ces dernières années, notamment au sein d’une classe moyenne grandissante, et commence de fait à émerger (un peu tard sans doute) sur l’agenda politique comme un véritable fléau de santé et de sécurité publique. Si les autorités ont tendance à minimiser les chiffres, les « communautés thérapeutiques », ces associations et ONGs volontaires d’aide à la désintoxication et à la réintégration des toxicomanes (qui sont dans leur immense majorité liées aux églises catholiques et évangéliques), affirment-elles que pas moins de 2 millions de brésiliens sont aujourd’hui atteints par cette plaie.
Mais le Brésil est aussi victime d’autres formes de violence tout aussi graves. Les violences conjugales, la torture en milieu carcéral, le travail infantile ou forcé, le harcèlement scolaire (appelé Bullying au Brésil), ou encore les bavures policières, font elles aussi la une des journaux. Toutes les deux minutes, 5 femmes brésiliennes sont victimes de violence au sein de leurs foyers. Dans l’état de Rio de Janeiro, entre janvier et juin 2008, 757 personnes (soit 4 par jour) décédaient suites à des interventions « musclées » d’une police qui peine à se défaire de son image corrompue. En 2008 toujours, l’ONG Human Rights Watch présentait un rapport dénonçant la pratique fréquente de la torture dans les prisons brésiliennes, lesquelles accueillaient à cette date pas moins de 440.000 détenus (soit une augmentation de 40% en 5 ans). Toutes les tranches d’âges et toutes les couches de la population sont affectées par cette violence omniprésente.
Violence et pauvreté
Si la quasi totalité des politiques publiques sécuritaires ont été au Brésil des échecs cuisants, c’est notamment parce qu’elles ont presque toujours consisté à réprimer le mal, plutôt qu’à le prévenir. Une conception de la sécurité publique qui semble toutefois évoluer depuis une dizaine d’année. En effet, en faisant de la lutte contre la misère et la pauvreté (qui on le voit sur ce graphique sont la première cause de violence perçue par la société) le principal de ses objectifs, les gouvernements de Lula et aujourd’hui de Dilma Rousseff cherchent à attaquer le fléau de l’insécurité à la source, en amont plutôt qu’en aval, avec ce raisonnement simple mais difficilement contestable : un jeune qui étudie au lycée avec la perspective d’une vie heureuse et confortable aura une propension moins grande à aller vendre de la drogue au sein du gang de la favela du coin. Mais cette politique à long terme mettra du temps à faire ses preuves et à réduire durablement la violence du pays. Et la population brésilienne, qui a déjà trop souffert, veut des résultats immédiais.
Le triste constat de l’impunité
Ainsi, la société civile, au travers d’une multitude d’associations de victimes, de front parlementaires et autres groupes de pressions, lutte ardemment pour une justice plus efficace et plus équitable. On a trop souvent ici le sentiment que les petits délits sont sanctionnés de façon disproportionnée, tandis que les crimes de grande ampleur restent souvent impunis. Une impunité face à laquelle la jeune démocratie brésilienne peine à lutter efficacement. La corruption, qui empoisonne aussi bien l’ensemble de l’appareil d’Etat que la société civile et qui coute chaque année au pays près de 70 milliards de réals (32 milliards d’euros), est peut-être la manifestation la plus flagrante de cette impunité ambiante. Après tout, le Brésil n’a jamais jugé les responsables des crimes de sa dictature (1964-1985), laquelle a prit fin il y a maintenant plus de 25 ans.
Eliott Mourier