Archive for the ‘Doctrine Sociale de l’Eglise’ Category

Le prochain Pape sera-t-il brésilien ?

février 11, 2013

Alors que la plus grande Église chrétienne du monde apprend que son souverain pontife s’apprête à renoncer à sa charge suprême et qu’un conclave sera donc bientôt organisé pour désigner un nouveau successeur de Pierre, la question qui s’était déjà posée en 2005, de savoir si l’Église catholique apostolique romaine placera un jour à sa tête un cardinal « non-européen » refait surface avec plus d’instance que jamais. Rien de plus légitime finalement quand on constate que seulement 23,9% des 1,1 milliards de catholiques dans le monde vivent en Europe. Il est toutefois intéressant de noter que sur les 118 cardinaux du Sacré Collège qui élira en mars le nouveau « vicaire du Christ », 62 (soit une courte majorité, mais une majorité tout de même) sont européens, 20 sont latino-américains, 14 nord-américains, 11 asiatiques, 11 africains et 1 est australien.

Il n’en reste pas moins que le Brésil est aujourd’hui, et depuis de nombreuses années même, le premier pays catholique du monde avec plus de 130 millions de fidèles dénombrés lors du dernier recensement brésilien en 2010. Il n’est donc pas absurde d’imaginer que l’ouverture du siège du Vatican sur le reste du monde débute avec l’élection au pontificat d’un cardinal brésilien. Et ce d’autant plus que le l’Église brésilienne possède actuellement au moins deux sérieux candidats potentiels parmi les 9 cardinaux brésiliens en activité : l’Archevêque d’Aparecida, Raymundo Damasceno Assis et Odilo Scherer, actuel Archevêque de São Paulo.

Raymundo Damasceno Assis est en fonction à Aparecida depuis 2004, c’est notamment lui qui accueillit le Pape Benoît XVI lors de sa visite dans sa ville en 2007. Depuis 2011, il dirige la très influente CNBB, la Conférence Nationale des Evêques Brésiliens, une institution qui a longtemps été tiraillée entre l' »Église des pauvres » prônée par la théologie de la libération, notamment durant les années 1970-1980, et une ligne plus conservatrice qui semble avoir repris les rennes ces dernières années. Il a également eu de nombreuses responsabilités au sein du CELAM, le Conseil Episcopal Latino-américain. Bien qu’il ait déclaré, dans la foulée de l’annonce de Benoît XVI, que « la nationalité du prochain Pape n’importerait guère », son rôle et son influence sur le catholicisme latino-américain pourraient faire de le lui un candidat d’ouverture sérieux. L’Archevêque Odilo Scherer présente un profil relativement similaire, mais il est bien plus jeune (63 ans) que son homologue, ce qui compte-tenu des circonstances pourrait jouer en sa faveur. Il dirige, depuis 2007, l’archevêché  de São Paulo qui n’est autre que le troisième plus grand archevêché catholique du monde. Il a lui aussi présidé la CNBB entre 2003 et 2007. Trois autres cardinaux brésiliens seraient par ailleurs potentiellement éligibles : Claudio Humnes, João Braz de Aviz et Geraldo Majella.

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Bien évidemment, ce ne sont là que des suppositions sans véritable fondement (ce que sont d’ailleurs toujours ce genre de spéculations dont sont devenus friands les bookmakers). Toutefois, ces hypothèses sont loin d’être absurdes quand on sait tout l’enjeu que représente le Brésil pour l’Église romaine. Il suffit pour cela de rappeler que les prochaines Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) – lancées en 1984 par Jean-Paul II et considérées comme l’un des principaux évènement planétaires du christianisme, mais surtout comme le symbole de l’avenir de l’Église catholique (et dont le Vatican tout de suite fait savoir qu’elles seraient bien maintenues malgré les évènements) – auront lieu cette année à Rio de Janeiro. Car même si beaucoup a été dit (et notamment sur ce blog) sur la difficulté du catholicisme brésilien à faire face à l’essor des églises évangéliques notamment, force est de constater que l’Eglise catholique brésilienne est en passe de réussir son pari : reconquérir la jeunesse et les déçus du catholicisme traditionnel. Comment ? En laissant le champ libre au « Renouveau Charismatique Catholique ». Avec ses prêtres-rock-stars, sa liturgie à la pointe de la technologie et un savant mélange de souplesse en matière d’ascétisme et d’intransigeance en ce qui concerne les moeurs et la morale;  ce courant né dans les années 1970 est entrain de prendre une ampleur considérable au Brésil (on estime que 25% des catholiques du pays sont sympathisants).

Ce catholicisme brésilien, plus « en phase » avec son temps, ne constitue-t-il donc pas in fine l’avenir d’une Église mondiale déterminée à poursuivre son ministère et à jouer un rôle de premier plan dans ce XXIème siècle? Car si l’Eglise fête actuellement le cinquantenaire du concile Vatican II, lors duquel elle avait fait le choix de passer de la « méfiance » envers le monde moderne à l’ouverture et à la solidarité avec les « hommes de ce temps » (Gaudium et Spes), force est de constater que l’aggiornamento de Vatican II reste aujourd’hui relativement inachevé. L’élection d’un Pape brésilien en mars prochain constituerait peut-être le symbole le plus fort de cette ouverture et de cette « mise à jour » de l’Église millénaire, dont semble dépendre en grande partie son avenir.

Le Cri des Exclus

septembre 15, 2011

Le 7 septembre, jour de fête de nationale au Brésil, on ne célèbre pas que l’indépendance du pays, proclamée en 1822 par l’Empereur Pedro Ier. Bien au contraire, en ce « jour de la Patrie » nombreux sont ceux qui profitent de l’occasion pour faire entendre, dans la rue mais aujourd’hui aussi sur le web, leurs revendications les plus diverses. Rien d’étonnant donc à ce qu’en cette année de multiples scandales de corruption (voir notre billet précédent), on assiste, parallèlement aux défilés militaires, à des « marches anti-corruption » organisées dans les 35 plus grandes villes du pays.

Mais depuis plus de quinze ans maintenant, c’est un évènement plus singulier encore, le « Cri des exclus » (Grito dos excluídos en portugais), qui anime chaque année à cette date symbolique les places publiques du pays. L’objectif affiché étant le suivant : « Transformer la participation passive de la population durant la commémoration de cette date, en une citoyenneté consciente et active sur un thème donné ». Plus qu’un mouvement ou une campagne, le Cri des exclus se définit comme « un espace de convergence ou divers acteurs sociaux se rassemblent à la fois pour protester et pour proposer de nouveaux chemins ».

Un cri contre les dérives du néo-libéralisme

Dans les années 1990, en réponse aux graves crises économiques et financières des années 1980 (et notamment des invraisemblables taux d’inflation qui rendait les économies totalement instables), le Brésil et l’Amérique latine, se voient contraints par le FMI et la Banque Mondiale à pratiquer un néolibéralisme effréné (ce que l’on a appelé le Consensus de Washington). Retrait de l’Etat, privatisations, ouverture de leurs marchés sur le monde, réduction drastique des dépenses publiques entre autres, des mesures qui contribuèrent certes à stabiliser les économies de la région, mais qui aggravèrent de façon dramatique les inégalités sociales, augmentant ainsi le contingent déjà conséquent de ces « exclus ». Exclus socialement et économiquement (populations pauvres et/ou rurales), mais parfois aussi politiquement ou culturellement (pour certaines minorités ethniques par exemple). C’est dans ce contexte qu’apparaît en 1995 le premier « Cri des exclus » fortement lié aux « Semaines Sociales Brésiliennes » (qui existent aussi en France depuis 1904!), organisées depuis 1991 par la Conférence Nationale des Evêques du Brésil (CNBB), le principal organe de l’Eglise catholique brésilienne.

L’Eglise comme espace de mobilisation sociale

Au Brésil, l’Eglise catholique joue en effet depuis la fin des années 1960 un rôle social de premier ordre. Depuis le concile Vatican II (1962-1965) où les évêques progressistes latino-américains jouirent d’une grande influence, et la Conférence Episcopale Latino-Américaine (CELAM) de Medellín en 1968, l’Eglise brésilienne décida d’adopter « l’option préférentielle pour les pauvres ». Une ligne directrice qui eut pour effet le développement des fameuses « communautés ecclésiales de base » (les « CEB », des communautés formées localement par les fidèles dans un but religieux d’abord, mais qui formèrent ensuite la base des futurs mouvements sociaux brésiliens); et surtout d’une multitude de « Pastorales Sociales » qui allaient, en pleine dictature militaire, offrir les seuls espaces de mobilisation sociale accessibles sur des sujets comme la réforme agraire (Pastorale de la Terre), la santé publique (Pastorale de la Santé), les droits des femmes ou des enfants, ou encore le système pénitencier (Pastorale Carcérale). D’ailleurs, la majorité des principaux dirigeants de mouvements sociaux, syndicats et organisations de défenses des droits de l’homme sont aujourd’hui directement issus de l’action pastorale de l’Eglise catholique. Des Pastorales qui avec la Conférence des Evêques sont aujourd’hui encore, parmi les principaux partenaires et promoteurs du « Cri des exclus ».

Le mouvement des « Sans-Terre »

Cette année, le thème de la mobilisation était  » La Terre crie pour la Vie et pour tous nos Droits », et visait trois principaux objectifs: « Dénoncer un modèle politique et économique qui concentre les richesses et condamne des millions de gens à l’exclusion sociale; rendre public, dans les places et les rues, le visage défiguré des groupes exclus, victimes du chômage, de la misère et de la faim; et enfin, proposer une alternative au modèle économique néolibéral, de façon à développement une politique d’inclusion sociale ».

Si la Terre crie pour la vie et pour les droits sociaux, ceux qui ne la cultive sans la posséder et que l’on surnomme au Brésil les « Sans-Terre », forment chaque année, l’un des mouvements les plus actifs de la mobilisation du 7 septembre. Le Mouvement des Travailleurs Sans-Terre (MST) lutte avant tout pour la réforme agraire qui, dans un pays où la moitié des terres cultivables sont détenues par à peine 1% de la population, reste l’un des symboles d’une société profondément inégalitaire et excluante. Sans lopin de terre à cultiver pour faire vivre leurs familles, les « Sans-Terre » organisent régulièrement des invasions de terrains qu’ils occupent jusqu’à ce que le gouvernement finisse soit par les leur céder, ou par les en déloger de force. Des situations qui provoquent régulièrement des escalades de violence, comme lors du Massacre de l’Eldorado des Carajás en 1996, où 19 travailleurs sans-terre furent assassinés par la Police Militaire de l’état du Pará alors qu’ils manifestaient en bloquant la principale autoroute de l’état.

Le Cri des exclus résonne donc aujourd’hui encore dans un Brésil où les avancées sociales significatives de ces dix dernières années ont, d’une certaine manière, fait grandir les attentes et l’impatience des ces millions de brésiliens, marginalisés, exclus du système. D’ailleurs l’une des principales critiques formulée à l’encontre des 8 ans du gouvernement de l’ex-président Lula concerne cette réforme agraire, sur laquelle rien n’a été fait, au grand dam des mouvements sociaux qui voyaient en Lula, le syndicaliste, une sorte de Messie. Comme l’affirmait il y a quelques jours la député Erika Kokay du PT, le « Cri des Exclus » rappelle au pays tout entier que « l’indépendance est aujourd’hui encore en construction, et qu’elle se réalise jour après jour, en luttant contre la misère et l’exclusion sociale ». En attendant, les exclus s’égosillent et s’égosillent encore.

Eliott Mourier

P.S : Pour en savoir plus je vous recommande cet excellent article du Monde Diplomatique.