Une victoire à la Pyrrhus pour Dilma Rousseff

octobre 27, 2014

Le second tour le plus indécis d’une élection présidentielle depuis 25 ans aura finalement tourné en sa faveur. Dilma Rousseff repart pour un nouveau mandat de quatre ans et le PT peut pousser un grand « ouf! » de soulagement. Avec 51,64% des suffrages valides et exprimés contre 48,36% pour son concurrent du PSDB, Aécio Neves, Dilma l’emporte finalement dans la dernière ligne droite, malgré de grosses frayeurs (montée fulgurante de Marina Silva en août, scandale de Petrobras, sondages donnant Aécio gagnant une semaine avant le scrutin, etc.). Mais c’est clairement une victoire « à la Pyrrhus » pour le PT qui ressort malgré tout affaibli de ces élections générales, lesquelles, au-delà des présidentielles, concernaient également les gouverneurs des 27 états, ainsi que les députés fédéraux et étatiques et le tiers du Sénat fédéral.

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Le casse-tête de la gouvernabilité

En effet, le Parti des Travailleurs, qui progressait systématiquement à chaque élection depuis le retour de la démocratie, subit le premier véritable coup de frein électoral de son histoire. Symbole fort de cette perte de vitesse : pour la première fois depuis 1990, le PT n’est plus le premier parti choisi par les électeurs optant pour le « voto em legenda », le choix pour les législatives de la liste d’un parti et non d’un candidat en particulier (21,6% pour le PT contre 23,8% pour le PSDB).

Dilma Rousseff – qui déjà ces quatre dernières années a dû gouverner en maintenant une alliance de partis extrêmement hétérogène – aura encore moins de marge de manoeuvre au congrès pour son prochain mandat. Sa coalition gouvernementale ne compte en effet plus que 304 députés et 40 sénateurs (contre 340 et 62 précédemment), le PT lui-même n’ayant obtenu que 70 sièges à la Chambre des députés et (13,6%) 13 au Sénat (16%). Cela pose très clairement une question de gouvernabilité au sein d’un congrès de plus en plus fragmenté, où les grands partis (PT, PSDB et PMBD) perdent du terrain au profit de petits partis, dont il faudra ménager les susceptibilités.

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Dilma devra composer avec un congrès plus conservateur

Un congrès qui d’ailleurs est probablement l’un des plus conservateurs de ces dernières années, comme en témoigne la nouvelle montée en puissance de la Bancada Evangélicaqui aurait gagné une dizaine de sièges à la chambre pour atteindre les 80 députés. Il s’en est même fallu de peu pour que l’état de Rio de Janeiro, le troisième plus peuplé du pays, n’élise comme gouverneur l’un de ses plus célèbres représentants, Marcelo Crivella, neveu du fondateur de l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu. Le parti de Crivella, le PRB, considéré comme le bras politique de l’Eglise Universelle a d’ailleurs doublé le nombre de ses députés passant de 10 à 21 sièges pour retrouver le poids qui était le sien à la fin des années 1990. Des évangéliques qui, au cours de la dernière législature ont montré leur capacité de blocage, notamment sur les questions éthico-morales (Kit gay…) et qui ne feront certainement pas de cadeaux à Dilma et à ses « valeurs progressistes ».

Même constat pour la « Bancada ruralista » (qui pourrait compter jusqu’à 257 députés, soit exactement la moitié de la chambre), qui représente les intérêts des propriétaires terriens et des grands noms du secteur de l’agro-alimentaire, et qui s’est opposée avec succès ces dernières années à toutes les réformes en matière de conditions de travail rural ou d’impact environnemental. Au grand dam de l’aile gauche de la coalition gouvernementale qui attend toujours la réforme agraire promise par Lula déjà.

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Du côté des gouverneurs, le PT et ses alliés ont également perdu du terrain et ne seront désormais plus à la tête que de 12 états contre 15 pour l’opposition. Et lorsqu’on connaît le pouvoir, les prérogatives et l’influence des gouverneurs au sein de l’Union, il y a là encore une raison de plus pour s’inquiéter de la capacité du futur gouvernement de Dilma à gouverner le pays, et surtout à mettre en place les réformes promises.

Jusqu’en 2019…mais après?

Car si Dilma en a appelé – dès l’annonce des résultats – à une « union nationale », a annoncé un référendum pour reconstruire le système politique et a proposé de grandes actions pour relancer l’économie, la population reste sceptique sur sa capacité à engager les vraies réformes demandées par les brésiliens avec de plus en plus d’insistance ces derniers mois. Il est clair que cette élection sonne comme une dernière chance donnée par les brésiliens au PT pour enfin changer le pays, comme il le promet depuis ses débuts. A moins qu’en 2019 le charisme de Lula ne parvienne à nouveau à faire oublier les promesses inassouvies de son parti…

 

Popularité présidentielle : Dilma Rousseff touchée mais pas coulée

février 25, 2014

S’il y a une donnée dont les instituts de sondages et les médias raffolent de nos jours c’est bien l’indice de popularité présidentielle. Dans toutes les démocraties contemporaines – et particulièrement dans les régimes à dominante présidentielle comme le sont le Brésil, la France ou encore les Etats-Unis -, cet indice, qui mesure tout au long d’un mandat  la satisfaction d’une population vis à vis de celui ou celle qu’ils ont placé à la tête de leur nation (et par extension de l’ensemble du gouvernement en fonction), est scruté de près par les décideurs politiques qui ne peuvent se permettre de le négliger (ce qui ne les empêchent pas d’en dénoncer régulièrement la pertinence). En Amérique latine notamment, la popularité présidentielle est sur toutes les lèvres (en tout cas dans les Etats où elle est le fruit d’études indépendantes). Son évolution vient ainsi récompenser ou punir de façon presque instantanée les actions du chef de la nation. Le président péruvien Ollanta Humala, pourtant  recordman de la popularité la plus basse des démocraties de la région, a ainsi vu sa côte remonter de 7 points (de 26 à 33% d’approbation) en l’espace de quelques jours la semaine dernière, après la « demi-victoire » du Pérou suite à la décision plutôt favorable du Tribunal de La Haye dans le conflit limitrophe qui l’opposait au Chili depuis des décennies.

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Ce qui frappe généralement les observateurs c’est la tendance presque universellement décroissante de cette courbe. Confortable le temps de ce qu’on appelle parfois la « lune de miel présidentielle », l’indice de popularité d’un président a ainsi presque toujours tendance à plonger à mesure que les espoirs suscités par les promesses de campagne se confrontent à la dure réalité de l’exercice du pouvoir. Barack Obama qui bénéficiait de près de 80% d’opinions favorables au lendemain de son investiture en 2008 ne convainc plus que 45% des américains 5 ans plus tard. François Hollande lui doit être proche de détenir le record de la plus spectaculaire dégringolade (de 60% à 20% d’opinions favorables en l’espace de 18mois). Une tendance à laquelle seules Angela Merkel et Dilma Rousseff – jusqu’à tout récemment – avaient résisté en conservant une popularité au-delà des 60%.

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En effet, Dilma Rousseff a longtemps été admirée pour sa capacité à maintenir un taux d’approbation extrêmement élevé et ce, quand bien même son gouvernement et son parti faisaient l’objet de diverses condamnation pour corruption. En effet, elle a habilement su manier les événements à l’époque en demandant aux ministres impliqués de démissionner d’une main de fer ce qui lui avait permis d’accueillir les louanges d’une population fatiguée de la corruption endémique du système politique. Dilma tenta le même tour de passe-passe l’été dernier lors de la surprenante vague de manifestations qui bouscula le pays, mais avec beaucoup moins de succès cette fois. En quelques semaines Dilma, qui n’avait jamais vu sa côte baisser depuis son accession au pouvoir passa de 79% à seulement 45% d’opinions favorables ! L’absence de mesures correctives vraiment structurelles et la tendance prononcée des gouvernements locaux pour la répression musclée des manifestations (nous en avons encore eu la preuve ce week-end à São Paolo) ont ainsi clairement provoqué une vraie fracture dans ce qui était jusqu’alors une belle histoire d’amour entre les brésiliens et leur première « Presidenta ». Car contrairement à ce que l’on a pu affirmer, la popularité de Dilma n’a jamais retrouvé son niveau d’avant les manifestations (elle a légèrement remonté pour s’établir à 55% février 2014 (Source CNI/IBOPE)), rejoignant ainsi le triste destin de ses homologues masculins précités.

20130927-GraficoDilma-PopularidadeIbopeEvolution de la popularité de Dilma Roussef entre mars 2011 et décembre 2013 (CNI/IBOPE)

Mais cela doit-il inquiéter celle qui se présentera pour un second mandat à l’automne prochain ? Tout porte à croire que non. En effet l’histoire a montré que l’indice de popularité et l’intention de vote étaient en réalité deux choses bien distinctes. En effet si l’indice de popularité mesure la satisfaction des citoyens par rapport aux promesses du candidat élu, les intentions de vote elles tiennent compte de la concurrence en présence… Force est de constater qu’avec 47% d’intentions de vote, contre seulement seulement 17% et 12% pour ses principaux concurrents, Aecio Neves (PSDB) et Eduardo Campos (PSB), la concurrence justement apparaît encore trop faible pour parvenir à détrôner une Dilma moins populaire certes que son prédécesseur et mentor, Lula, mais qui reste encore la « Presidenta » pour une majorité de brésiliens.

« Ma Maison, Ma Vie » : Le développement urbain du Brésil en questions

novembre 27, 2013

Entre 1960 et 2010, le pourcentage de brésiliens vivant en ville est passé de 45% à près de 85%. Si ce phénomène d’exode rural a été constaté un peu partout dans le monde à différentes époques, le processus d’urbanisation reste encore très dynamique au Brésil, comme le confirme le dernier recensement qui montre qu’entre 2000 et 2010 les villes brésiliennes ont encore accueilli 23 millions d’individus supplémentaires. Cette afflux massif vers les métropoles du pays a rarement été bien géré au cours de l’histoire du pays et est aujourd’hui à l’origine de nombreuses problématiques sociétales, parmi lesquelles celle du logement.

On estime en effet aujourd’hui le déficit de logements au Brésil à près de 6 millions d’unités. Un chiffre considérable auquel le gouvernement de Lula a décidé  de s’attaquer en 2009 en lançant en grande pompe le programme « Ma Maison, Ma Vie » (Minha Casa Minha Vida), lequel prévoit la construction – par le secteur privé – de 3 millions de logements d’ici 2014, avec une aide progressive au financement pour les familles dont le revenu mensuel n’excède pas 5.000 réais (1650 euros environ). En pleine crise économique et à un an des élections présidentielles, Minha Casa Minha Vida devait aussi permettre de redynamiser une économie brésilienne dont la croissance s’essoufflait pour la première fois depuis près d’une décennie.

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Aujourd’hui, quatre ans plus tard, le gouvernement de Dilma Rousseff dresse un bilan assez élogieux du programme : 2.8 millions de contrats signés (dont près de 70% précisément dans les zones fortement urbanisée (+100.000 hab)), 177 milliards de réais d’investissements, 1.2 millions de maisons déjà livrées, et une contribution au PIB  de 0,8% en 2012. Pourtant, ce programme fait également l’objet de nombreuses critiques qui questionnent plus largement la pertinence et la durabilité du développement et des politiques d’urbanisation du pays.

En effet, si personne ne remet en question l’impact globalement positif du programme sur la santé du secteur du BTP ou sur l’accessibilité à la propriété pour les classes les plus démunies, de nombreuses critiques se sont élevées contre la qualité des constructions (exécution des travaux douteuse, matériaux bon marché, etc.), leur impact environnemental (la plupart du temps complètement négligé) et surtout leur localisation souvent absurde. Luciana Correa do Lago, chercheuse à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro, dénonce ainsi la logique quantitative du programme qui engendre une production d’échelle, uniformisée, « qui finit par relocaliser les familles pauvres dans des périphéries sans aucunes infrastructures, accentuant de fait le phénomène de ségrégation résidentielle ».

minha-casa1900 logements du programme Minha Casa Minha Vida « prêts » à être livrés à Serra Talhada dans l’Etat du Pernambouc

A bien des égards le programme Minha Casa Minha Vida reflète de façon tout à fait symbolique, certes la volonté affichée du gouvernement d’allier « croissance économique » et « inclusion sociale », mais aussi une certaine tendance à la « précipitation », dans un pays où le « développement » se doit aujourd’hui d’être à la hauteur des attentes d’une population de plus en plus exigeante, et d’une communauté internationale qui a déjà les yeux rivés sur le prochain organisateur de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques. Attention toutefois à ne pas confondre vitesse et précipitation…

Le Brésil s’indigne !

juin 18, 2013

Le Brésil connait depuis quelques jours maintenant et alors qu’il accueille la Coupe des Confédérations – sorte de répétition générale avant le Mondial de football l’an prochain – l’une des plus importantes vague de manifestations depuis le retour de la démocratie dans les années 1980. A l’origine de ce mouvement contestataire qui s’affirme dans la quasi-totalité des grandes villes du pays, une hausse généralisée du prix des transports (et notamment des bus, principal moyen de transport utilisé par les Brésiliens) considérée comme abusive, non seulement par les Brésiliens résidant au Brésil, mais qui soulève également l’indignation des expatriés un peu partout dans le monde, comme en Irlande où plus de 1.000 Brésiliens ont manifesté dimanche dernier depuis Dublin.

Toutefois, si la hausse du prix des transports a été l’élément déclencheur, les manifestations – tout en gagnant en ampleur – élargissent actuellement le champ de leurs revendications d’une façon qui commence à devenir préoccupante pour le Gouvernement.  A Belém, l’une des villes les plus violentes du Brésil située dans le Nord du pays, les manifestants demandent demandent davantage de mesures pour faire face à la criminalité croissante. Dans le Sud, à Porto Alegre, les protestations condamnent la corruption et le manque de transparence des acteurs publics. Et dans la plupart des grandes villes du pays, on s’insurge contre les dépenses pharaoniques (et en constante révision à la hausse) engagées par le pays pour la Coupe du Monde (beaucoup de ces manifestations se déroulent d’ailleurs à proximité des stades) et qui auraient dû, selon les manifestants, être investies dans l’éducation ou la santé.

Protestations devant le Maracana en rénovation. Rio de Janeiro. Marcos de Paulo / Estadao

Protestations devant le Maracana en rénovation. Rio de Janeiro. Marcos de Paulo / Estadao    

Ce dernier point est d’ailleurs loin d’être anodin. Si jusque là la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques de Rio ont toujours été présentés comme des « opportunités de développement », ou comme « un coup de projecteur bénéfique sur le pays », la population, loin d’être dupe, commence à comprendre qu’elle peut effectivement tirer profit de ces événements, non pas tant pour ces raisons là, mais davantage comme un moyen de pression sur ses gouvernants, alors que les cameras du monde entier sont progressivement braquées sur le pays. Le Président de la FIFA, Joseph Blatter, se trompe quand il affirme que « le football est plus fort que l’insatisfaction des gens », car celui-ci offre précisément pour les Brésiliens un moyen de faire entendre leurs aspirations pour le futur de leur nation. Ce ne serait pas une première dans ce pays où même le football participa à la lutte contre l’autoritarisme et à la reconstruction démocratique du pays dans les années 1970-1980 (l’exemple le plus flagrant étant le mouvement Democracia Corintiana des joueurs emblématiques du Corinthians, Socrates, Wladimir et autre Casagrande).

Toujours est-il que ces mouvements contestataires préoccupent de plus en plus le gouvernement alors que la cote de popularité de Dilma Rousseff, jusque là impeccable, est pour la première fois de son mandat en phase descendante. La répression parfois musclée des manifestations à Brasilia (où les manifestants ont envahi hier les alentours du Congrès national), Rio de Janeiro (avec 100.000 personnes défilant dans les rues), ou São Paulo (où parmi les 50.000 manifestants certains ont tenté de pénétrer dans le Palais du Gouverneur) ne devrait d’ailleurs rien arranger à l’affaire, bien que Dilma se soit empressée de déclarer que de telles manifestations sont « légitimes et propres à la démocratie ».

La hausse abusive du prix des transports a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de l’indignation des Brésiliens, rempli petit à petit, déception après déception, par les acteurs politiques du pays ces dernières décennies. Ce séisme de contestation dont personne n’évalue encore précisément la magnitude et qui connaîtra certainement des répliques à l’approche des événements planétaires que le Brésil s’apprête à accueillir, provoquera-t-il une véritable onde de choc et une prise de conscience de la part des décideurs publics du pays ? C’est tout ce que ces centaines de milliers d’indignés brésiliens souhaitent.

Le prochain Pape sera-t-il brésilien ?

février 11, 2013

Alors que la plus grande Église chrétienne du monde apprend que son souverain pontife s’apprête à renoncer à sa charge suprême et qu’un conclave sera donc bientôt organisé pour désigner un nouveau successeur de Pierre, la question qui s’était déjà posée en 2005, de savoir si l’Église catholique apostolique romaine placera un jour à sa tête un cardinal « non-européen » refait surface avec plus d’instance que jamais. Rien de plus légitime finalement quand on constate que seulement 23,9% des 1,1 milliards de catholiques dans le monde vivent en Europe. Il est toutefois intéressant de noter que sur les 118 cardinaux du Sacré Collège qui élira en mars le nouveau « vicaire du Christ », 62 (soit une courte majorité, mais une majorité tout de même) sont européens, 20 sont latino-américains, 14 nord-américains, 11 asiatiques, 11 africains et 1 est australien.

Il n’en reste pas moins que le Brésil est aujourd’hui, et depuis de nombreuses années même, le premier pays catholique du monde avec plus de 130 millions de fidèles dénombrés lors du dernier recensement brésilien en 2010. Il n’est donc pas absurde d’imaginer que l’ouverture du siège du Vatican sur le reste du monde débute avec l’élection au pontificat d’un cardinal brésilien. Et ce d’autant plus que le l’Église brésilienne possède actuellement au moins deux sérieux candidats potentiels parmi les 9 cardinaux brésiliens en activité : l’Archevêque d’Aparecida, Raymundo Damasceno Assis et Odilo Scherer, actuel Archevêque de São Paulo.

Raymundo Damasceno Assis est en fonction à Aparecida depuis 2004, c’est notamment lui qui accueillit le Pape Benoît XVI lors de sa visite dans sa ville en 2007. Depuis 2011, il dirige la très influente CNBB, la Conférence Nationale des Evêques Brésiliens, une institution qui a longtemps été tiraillée entre l' »Église des pauvres » prônée par la théologie de la libération, notamment durant les années 1970-1980, et une ligne plus conservatrice qui semble avoir repris les rennes ces dernières années. Il a également eu de nombreuses responsabilités au sein du CELAM, le Conseil Episcopal Latino-américain. Bien qu’il ait déclaré, dans la foulée de l’annonce de Benoît XVI, que « la nationalité du prochain Pape n’importerait guère », son rôle et son influence sur le catholicisme latino-américain pourraient faire de le lui un candidat d’ouverture sérieux. L’Archevêque Odilo Scherer présente un profil relativement similaire, mais il est bien plus jeune (63 ans) que son homologue, ce qui compte-tenu des circonstances pourrait jouer en sa faveur. Il dirige, depuis 2007, l’archevêché  de São Paulo qui n’est autre que le troisième plus grand archevêché catholique du monde. Il a lui aussi présidé la CNBB entre 2003 et 2007. Trois autres cardinaux brésiliens seraient par ailleurs potentiellement éligibles : Claudio Humnes, João Braz de Aviz et Geraldo Majella.

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Bien évidemment, ce ne sont là que des suppositions sans véritable fondement (ce que sont d’ailleurs toujours ce genre de spéculations dont sont devenus friands les bookmakers). Toutefois, ces hypothèses sont loin d’être absurdes quand on sait tout l’enjeu que représente le Brésil pour l’Église romaine. Il suffit pour cela de rappeler que les prochaines Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) – lancées en 1984 par Jean-Paul II et considérées comme l’un des principaux évènement planétaires du christianisme, mais surtout comme le symbole de l’avenir de l’Église catholique (et dont le Vatican tout de suite fait savoir qu’elles seraient bien maintenues malgré les évènements) – auront lieu cette année à Rio de Janeiro. Car même si beaucoup a été dit (et notamment sur ce blog) sur la difficulté du catholicisme brésilien à faire face à l’essor des églises évangéliques notamment, force est de constater que l’Eglise catholique brésilienne est en passe de réussir son pari : reconquérir la jeunesse et les déçus du catholicisme traditionnel. Comment ? En laissant le champ libre au « Renouveau Charismatique Catholique ». Avec ses prêtres-rock-stars, sa liturgie à la pointe de la technologie et un savant mélange de souplesse en matière d’ascétisme et d’intransigeance en ce qui concerne les moeurs et la morale;  ce courant né dans les années 1970 est entrain de prendre une ampleur considérable au Brésil (on estime que 25% des catholiques du pays sont sympathisants).

Ce catholicisme brésilien, plus « en phase » avec son temps, ne constitue-t-il donc pas in fine l’avenir d’une Église mondiale déterminée à poursuivre son ministère et à jouer un rôle de premier plan dans ce XXIème siècle? Car si l’Eglise fête actuellement le cinquantenaire du concile Vatican II, lors duquel elle avait fait le choix de passer de la « méfiance » envers le monde moderne à l’ouverture et à la solidarité avec les « hommes de ce temps » (Gaudium et Spes), force est de constater que l’aggiornamento de Vatican II reste aujourd’hui relativement inachevé. L’élection d’un Pape brésilien en mars prochain constituerait peut-être le symbole le plus fort de cette ouverture et de cette « mise à jour » de l’Église millénaire, dont semble dépendre en grande partie son avenir.

Un Brésil ancré dans sa Foi

juin 29, 2012

Les spécialistes du fait religieux au Brésil les attendaient avec grande impatience, les résultats du dernier recensement (« censo« ) au Brésil – où contrairement à la France, on interroge les gens sur leur affiliation religieuse – viennent de tomber. Ils confirment une tendance et un constat bien connus des sociologues de la région : Au Brésil, les religions sont en mouvement.

Ces résultats confirment d’abord l’inexorable déclin du catholicisme, ce qui est d’autant plus inquiétant pour le Vatican que le Brésil reste malgré tout aujourd’hui le premier pays catholique au monde (123 millions de fidèles). Car si en 1980, 89% des brésiliens se revendiquaient encore de l’Église romaine, ils ne représentent aujourd’hui plus que 64,92% de la population. En l’espace de trois décennies, le catholicisme a perdu un quart de la population brésilienne.

Document compilé par l’auteur sur la base de données IBGE

Mais contrairement à ce que beaucoup d’analystes, notamment européens, prévoyaient il y a peu encore, cette perte de vitesse ne se fait pas au profit de l’incroyance et de l’athéisme. Si les « Sans-religion » (qui ne revendiquent pas d’affiliation particulière, mais n’en sont pas moins pour la plupart « crentes« , croyants) augmentent légèrement passant de 7,3% à 8,0% de la population, les athées et les agnostiques eux restent marginaux (0,4%), confirmant bien que « Dieu est brésilien » comme l’affirme un dicton populaire.

Dans un pays comme le Brésil où la diversité et le pluralisme religieux sont extrêmes, ce sont en fait une foule d’autres mouvements qui progressent actuellement et bénéficient de l’étiolement du catholicisme, autant qu’ils y contribuent de par leur nature prosélyte. Au premier rang de ces mouvements encore minoritaires, les pentecôtistes évangéliques, qui représentent maintenant 60% des 42 millions de protestants-évangéliques du pays. Alors qu’ils ne formaient que 6,6% de la population en 1980, les évangéliques dans toute leur diversité représentent aujourd’hui, d’après ce dernier sondage, 22,2% de la population, ayant gagné plus de 16 millions de fidèles ces dix dernières années. Il faut également souligner la progression d’autres mouvements chrétiens tels les Mormons (Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours), mais surtout les Adventistes du Septième Jour (1,5 millions de membres) et les Témoins de Jéhovah (1,4 millions).

Si la croissance évangélique est un phénomène bien connu au Brésil, il est aussi intéressant de noter la forte progression du Spiritisme-Kardéciste,  implanté au Brésil à la fin du XIXème siècle et qui s’inspire des écrits du français Allan Kardec, dont la postérité spirituelle est aujourd’hui bien plus grande outre-Atlantique que dans sa terre d’origine. Fondé, entre autres, sur le principe de charité et sur la croyance dans le dialogue et l’interaction avec l’au-delà, le Spiritisme-Kardéciste, qui au Brésil se revendique comme étant proche et lié au christianisme, compte aujourd’hui près de 4 millions d’adeptes (2,02% de la population) principalement localisés dans la riche région du sud-est, au sein de populations plutôt aisées et bien formées.

Notons également la faible part des religions afro-brésiliennes (principalement le Candomblé et l’Umbanda) avec à peine plus d’un demi million de fidèle, qui semble une fois encore très largement sous-estimée par le recensement. Des associations avaient pourtant mené une campagne médiatique pour inciter les gens à ne pas « avoir honte de revendiquer leur affiliation » devant les sondeurs. Un pas encore difficile à franchir pour des religions qui sont encore régulièrement taxées de « satanisme » ou de « sorcellerie ».

Enfin, pour faire écho à notre billet précédent, les religions orientales comme l’Islam, le Bouddhisme, l’Hindouisme ou le Judaïsme ne connaissent pas le boom que certains médias avaient prophétisé de façon excessive, représentant à elles quatre moins de 400.000 personnes (0,2%). On est donc encore bien loin d’un Brésil islamique…

Au Brésil, si la Religion est parfois comparée à un grand marché où les affiliations fluctuent et changent au gré du temps et des modes, un élément frappe malgré tout par sa constance : Alors que le pays s’enrichit, s’ouvre sur le monde et se « modernise », le peuple brésilien n’en reste pas moins un peuple ancré dans sa foi. Surprenant pour ceux qui pensaient que la modernité aboutirait inéluctablement sur la « sortie de la religion ». Alors oui, effectivement, Dieu est peut-être brésilien…

L’Islam au Brésil, quel avenir ?

juin 7, 2012

Depuis quelques années l’expansion de l’Islam à travers le monde intrigue. Mais qu’en est-il au Brésil, dans ce pays où l’effervescence
et le pluralisme religieux sont de mise ? Peut-on imaginer qu’à l’image des minorités évangéliques – qui en l’espace d’un demi-siècle sont passées d’1% à plus de 20% de la population – les musulmans pourraient bientôt constituer une importante minorité religieuse dans ce qui reste le premier pays catholique au monde ?

Quelle présence au Brésil ?

Implanté au Brésil à la fin du XIXème siècle par des communautés de migrants syro-libanais dans la région de São Paulo, le développement de l’Islam reste avant tout lié aux mouvements migratoires et à la croissance démographiques de ces populations pour la plupart issues du moyen-orient ou du maghreb. Si les conversions existent et ont même connu une certaine médiatisation au début des années 2000 – à la suite du 11 septembre 2001 – dans les favelas de grandes métropoles, elles restent aujourd’hui un épiphénomène dont il ne faut pas exagérer l’ampleur.

Le recensement de 2000 ne dénombrait ainsi « que » 27.239 musulmans (16.000 hommes pour 11.000 femmes) soit moins de 0,016% de la population et à peine 5.000 fidèles de plus qu’en 1991, soit une moyenne annuelle de 500 fidèles supplémentaires qui correspondraient vraisemblablement davantage à la natalité qu’à des conversions. Certaines entités musulmanes vont jusqu’à parler d’1,5 millions de fidèles, ce qui semble très largement exagéré comme le montre le nombre de mosquées, qui ne dépasserait pas la centaine. Il faut toutefois admettre que les recensements nationaux ont souvent tendance à sous-estimer la population des minorités religieuses (qui n’osent souvent pas admettre leur affiliation réelle devant les censeurs). Au final, on peut probablement se fier à l’estimation de la spécialiste Vitória Peres de Oliveira qui estime le nombre de musulmans au Brésil à environ 200.000. On sait par ailleurs que 40% environ de la population musulmane se situe dans la région de São Paulo. On compte aussi de nombreux musulmans dans la région controversée de la « Triple Frontière » à l’intersection du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay.

Une présence numérique et physique encore très faible donc et qui ne fait du coup l’objet d’aucune reconnaissance publique de la part des hommes politiques et de peu d’études académiques. Néanmoins, la communauté musulmane est bien présente sur internet et mobilise de plus en plus les moyens de communications pour gagner en visibilité (http://www.fambras.org.br/). Il est aussi intéressant de noter que le Brésil est entrain de se positionner comme l’un des principaux exportateur de viande halal dans le monde, renforçant ainsi ses liens commerciaux avec le monde arabo-musulman.

Quel avenir  pour l’Islam au Brésil ? 

Au sein d’un « marché religieux » particulièrement dense et concurrentiel, l’Islam parviendra-t-il à se faire une place ?

Feres Fares, l’un des grands diffuseurs de l’Islam au Brésil reste particulièrement optimiste. D’après lui, en l’espace de huit ans, le nombre de locaux à prières aurait été multiplié par quatre, passant de 32 en 2000, à 127 en 2008, et ce, dans l’ensemble du pays jusqu’en Amazonie. Culturel et limité aux populations d’origines arabe, Fares assure par ailleurs que l’Islam se répand de plus en plus auprès d’afro-brésiliens et de jeunes adeptes du mouvements hip-hop en quête d’identité, de rigueur et de « certitudes ».

Objet médiatique éphémère ou véritable phénomène religieux émergent ? L’Islam et son avenir restent encore un mystère dans ce qui reste le plus grand pays chrétien de l’hémisphère sud.

Eliott Mourier

Le sommet Rio+20 au secours d’une Amazonie en péril ?

juin 4, 2012

A quelques jours de la tenue de la conférence des Nations Unies Rio+20 sur le Développement durable (20-22 juin), je vous propose la lecture d’un article que j’ai rédigé pour le site d’information Atlantico.

Sous fond de tensions entre le lobby environnementaliste et celui de l’agro-industrie, le Brésil doit jongler entre son souci de faire bonne figure sur le plan écologique et son processus inéluctable de développement économique.

La suite ici…

Les défis du Troisième Secteur

Mai 16, 2012

Si l’on connait bien le « premier » secteur – le secteur public-, tout comme le « deuxième » secteur – le secteur privé à but lucratif-, on connait beaucoup moins le « troisième » secteur, qui regroupe lui l’ensemble des entités à but non-lucratif et qui constituent pourtant en Europe comme au Brésil un part tout à fait considérable de l’Économie.

Au Brésil, ce troisième secteur, principalement composé d’associations, de fondations, d’ONG et d’une foule d’autres entités à vocation principalement humanitaire et sociale, compte pas moins de 500.000 organisations enregistrées, lesquelles emploient plus de 2,9 millions de brésiliens (6,7% du marché du travail). Hôpitaux Philanthropiques, Écoles, Crèches, Soupes Populaires, Centres de Formation Professionnelle, de Recherche d’Emploi, ou encore de Traitement de la Dépendance pour les Toxicomanes, tous les domaines de la vie sociale et économique des brésiliens sont investis par ces entités à but non-lucratif.

Dans un pays comme le Brésil où les services publics ne sont souvent pas à la hauteur ou tout simplement inaccessibles à certaines populations reculées (Amazonie) ou marginalisées (habitants de favelas); et où l’offre de service privée est le plus souvent inaccessible aux plus démunis; l’oeuvre réalisée par ces organisations volontaires et leurs bénévoles est perçue comme indispensable.

Une enquête IBOPE de 2011 montre que 25% des brésiliens déclarent être ou avoir été dans le passé « volontaire » dans l’une de ces organisations du troisième secteur. Autrefois plutôt le fait des classes aisées et éduquées, le volontariat tend à se démocratiser ces dernières années. L’étude montre aussi que 49% des volontaires le sont dans des institutions « religieuses », ce qui montre à la fois la nature très « confessionnelle » du troisième secteur brésilien et la prégnance des motivations religieuses aux yeux des bénévoles. Les orphelinats et abris pour adolescents du système public sont ainsi par exemple gérés pour 70% d’entre eux, par des structures confessionnelles (IPEA).

Mais il est bien loin le temps où le Brésil constituait l’une des principales destinations de la générosité de donateurs du Nord, et aujourd’hui, nombre de ces organisations font face à de sérieux problèmes de financement. De plus, les Brésiliens, pourtant réputés pour leur main sur le coeur, ne sont pas très coutumiers des dons aux organismes volontaires (il faut dire que les incitations de l’Etat sont minimes de ce point de vue). Certaines parviennent toutefois à tirer leur épingle du jeu en obtenant des partenariats avec les pouvoirs publics. Particulièrement contraignants, puisque les organisations volontaires doivent dès lors se conformer à un cadre technique et légal particulièrement complexe (qui implique des rénovations de bâtiments, l’embauche de professionnels etc.), ces partenariats ne constituent pourtant pas toujours le remède financier espéré. La participation des pouvoirs publics étant souvent, au final, moindre que promise et presque systématiquement sujette à des retards très préjudiciables pour ces organismes. Les volontaires n’ayant alors plus d’autres options que de mettre la main à la poche ou bien la clé sous le paillasson.

Si l’Etat brésilien reconnait l’importance et la nécessité de l’oeuvre du troisième secteur, il reste réticent à l’idée de le financer, du fait d’un certain climat de suspicion engendré par quelques scandales d’ONG fantoches ayant détourné, encore tout récemment, des millions de réals des caisses publiques. Mais si la « Filoutropie » est une réalité, elle ne doit pas être confondue avec le vaste univers  de la « Philanthropie » et du volontariat, une force à promouvoir et sans laquelle le Brésil ne serait certainement pas ce qu’il est aujourd’hui.

Maintenant, c’est Dilma !

avril 5, 2012

On attendait ces jours-ci les résultats de la dernière enquête d’opinion concernant la popularité de la Présidente Dilma Rousseff, après un peu moins d’un an et demi au pouvoir de la 6ème puissance mondiale. Force est de constater qu’avec 77% d’opinions favorables, la présidente brésilienne n’en finit plus de gagner le cœur  des brésiliens et de faire oublier son prédécesseur et mentor, Lula, tout juste remis de son cancer et qui vient d’annoncer son retour en politique.

Cette enquête CNI/Ibope conduite mi-mars affiche une progression de +5 points et place Dilma dans une position particulièrement confortable. En effet, comme nous l’expliquions dans un billet précédent, la politique d’intolérance à la corruption conduite par la présidente et qui a coûté la tête de 7 de ses ministres en l’espace de 6 mois, a selon toute vraisemblance était plébiscitée par la population. En effet, celle-ci loin de voir dans ces évènements la preuve d’un gouvernement corrompu, a préféré y voir une présidente à la main de fer, intègre et fidèle à sa réputation de gestionnaire efficace.

Mais cette popularité n’est pas seulement due à sa lutte contre la corruption. En effet, le ralentissement de l’économie brésilienne constaté ces derniers mois laissait présager une baisse des opinions favorables, mais il n’en est rien. Pourquoi ? Certainement du fait de la capacité de Dilma a proposer des mesures « choc »,  comme l’injection de près de 50 milliards de réals (plus de 20 milliards d’euros), proposée il y a quelques jours par le gouvernement pour dynamiser une industrie brésilienne en berne. Un interventionnisme dont Dilma a su faire bon usage et qui semble aujourd’hui faire l’unanimité.

Mais si Dilma est plébiscitée pour son action économique, dans la luttre contre la pauvreté ou pour l’emploi, elle l’est beaucoup moins concernant la santé publique, l’insécurité ou l’imposition, ce qui invalide l’hypothèse de certains analystes selon laquelle cette popularité donnerait à la présidente davantage de « pouvoir d’imposition ». Dilma reste attendue sur ces thématiques qui préoccupent les brésiliens, tout comme sur le bon déroulement de la Coupe du Monde 2014 qui aura lieu quelques mois avant les prochaines présidentielles.

Il n’en reste pas moins qu’avec 77% d’opinions favorables, Dilma apparaît de plus en plus comme une sérieuse candidate à sa propre réélection en 2014, quand tout le monde s’accordait à dire, au début de son mandat, qu’elle n’assurerait qu’une intérim avant le retour triomphal de Lula quatre ans plus tard. Si sa popularité se maintient comme c’est le cas depuis un an et demi maintenant, cette affiche de campagne montrant Dilma aux côtés de Lula aura vu juste : « Agora é Dilma » ! (Maintenant, c’est Dilma !).